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Éric Corne
2006

Henry David Thoreau :
Walden ou la vie dans les bois

La lumière qui nous crève les yeux est ténèbre pour nous. Seul point le jour auquel nous sommes éveillés. Il y a plus de jours à poindre. Le soleil n’est qu’une étoile du matin.

La Générale accueille Eric Corne et son projet d’exposition Voir en Peinture/ Two. Two car elle prolonge l’exposition Voir en Peinture proposée au Centre d’art contemporain Le Plateau quand il en assurait la direction (18 sept 2003. 26 nov. 2003). Cette manifestation s’est ensuite déplacée et transformée au centre d’art contemporain de Varsovie, Zamek Ujazdowski, Voir En Peinture / Widziec W Malarstwie, (10mars, 11 avril 2004). Le projet présenté à la Générale s’inscrit dans un processus d’expositions en France et à l’étranger, Voir en Peinture / drei, quatro ….. Anahita Bathaie, Céline Berger , Damien Cadio, Damien Deroubaix, Shirley Jaffe, Marie Lepetit, Olivier Masmonteil, François Mendras, Bruno Perramant, Robert Suermont, Thu Van Tran, Katharina Ziemke. Ces artistes de générations et d’approches différentes, avec des gestes singuliers et un "réalisme" qui leur est propre dans l’emploi des matériaux, interrogent et travaillent la peinture. Ils en font l’expérience et se saisissent de son temps, celui de sa mise en œuvre, mais aussi celui qu’elle abolit. Leurs propositions traduisent la vitalité et la vivacité de ce médium complexe et en constante métamorphose. La peinture se déploie avec frénésie dans leurs esthétiques, que seul l’apparence contredit. Leur pratique est un constant et insistant déplacement des possibles en peinture, ils la forment et la déforment, s’adaptent à son cadre, son étendue ou la poursuivent dans la vidéo comme Anahita Bathaie ou Thu Van Tran. Ces générations d’artistes se repositionnent face à la modernité et ses acquis en ne s’aliénant pas dans une technique ou un courant artistique définitif. Et sous l’apparence de la spontanéité de leur geste pictural, voire de leur primitivisme, ils montrent, (exposent), l’expression de leur hésitation devant l’inconnu, entre attirance et répulsion. La peinture nous apparaît comme la Justine de Sade, mille fois violée elle demeure toujours vierge, comme l’image de toutes les images, car livrée dans son incomplétude — son apparence. De l’effusion de l’image, sa prolifération ou son effacement, avec difficulté ou désir, leurs peintures se complètent en inquiétude et en persistance. Le temps ne compte plus, ne se mesure plus ; il s’interrompt doucement, en apprivoisement approximatif.

Déconstruction-construction où ce qui apparaît dans leurs peintures est en suspens avec l’effacement du visible et du geste qui l’a rendu au jour. Ils affrontent la toile, le papier et la peinture ou la vidéo et la photographie, l’ombre et la lumière afin de nous mener au seuil de l’image, pris entre matière et immatérialité. Ils se saisissent de la palette et des outils de tous les peintres, et remettent en chantier leur matière colorée en confrontation et superposition. C’est dans l’aveuglement de l’action qu’apparaissent ou émergent soudainement leurs résolutions. Ils mixent les scènes, échangent les corps ou des décors et les suspendent dans les traînées de couleur comme Shirley Jaffe avec ses puzzles de peintures, à la lisière de la figuration ou de l’abstraction. Ce qui apparaît dans ses peintures est en suspens avec l’effacement du visible et du geste qui l’a rendu au jour. Gestes infinis d’Anahita Bathaie, telle celui du derviche tourneur, par lequel l’artiste dessine dans la matérialité du sable un cercle saisi dans son incomplétude, son imperfection. Le cercle comme promesse d’un espace infini. Précise suspension de lumière, lignes et points de fuite oscillent des constellations de Marie Lepetit. Avec les données simples de l’équerre et du crayon, elle reprend chaque jour l’obstiné épuisement du marquage, de l’étalonnage ou même du cadrage des espaces infinis délivrés par le pan du mur, du papier ou de la toile. Traces de peinture de Damien Deroubaix, il réanime et redonne sensation aux indices de reconnaissance, issus de la publicité, de la bande dessinée ou de l’illustration. Dans la confusion des valeurs, où le banal, la trivialité même déclinent l’aura de la peinture et se découvrent en drame. Le hors-sujet comme stratégie des peintures de François Mendras qui lui permet de retenir l’origine des images. Avec son art du rien et l’air de rien, il retrouve le secret de l’indélébilité de la peinture, de sa mémoire volontaire ou non, là où la ruine se construit. Robert Suermont dont l’œuvre indéchiffrable, épouse aussi toutes les données de la peinture, course folle pour saisir l’image en perpétuelle métamorphose qui nous apparaît dans sa gravité sans vertige, déliée de tout repère spatial (haut, bas, droite, gauche). L’artiste ici interviendra par des affiches, mises à distance pixelisées de ses dernières peintures. Olivier Masmonteil se saisit des paysages, ceux de son attache limousine mais aussi de toute l’histoire de la peinture, sa peinture les re-compose ; son œuvre suit les pas de Mondrian et dialogue avec celles de Caspar David Friedrich, Hodler ou des paysagistes américains. Stratégie nécessaire de Masmonteil, comme pour Peter Doig, ils prélèvent de l’imaginaire dans les paysages afin d’appréhender le vide, la profondeur et la transparence de l’image. Ils prélèvent et re-composent le paysage, pour appréhender le vide, la transparence de l’image. Damien Cadio fouille systématiquement les images via Internet, de sa peinture il les poursuit et nous fait éprouver leur inquiétante étrangeté, celle originelle qui va de la nature des choses à celles des images, de leur immédiateté. Dans la suavité des couleurs, des indices et du cadrage, il ramène au visible l’effarement, voire l’effroi du visible délié de toute logique. En perpétuelle recherche de connexion la peinture de Bruno Perramant fixe l’éblouissement de l’image et ses seuils d’invisibilité, parade ou Paradis, de l’image qui vient au mot avec ses désirs en creux évoqués en cordée de mémoire de Dante à Sollers. Là où la lumière du verbe transcende le flou de l’image d’actualité et ses a-priori. Les mêmes préoccupations d’espaces se perçoivent dans les œuvres de Céline Berger. De Moscou à Paris, elle réanime le flux d’images et lui redonne son épaisseur telle une attention au monde devant ce qui se dérobe à sa possible compréhension. Implacable séduction des peintures de Katharina Ziemke, sous l’acidité de sa gamme colorée et dans la trivialité des sujets, ses images se découvrent en dissolution, à la limite de l’effacement d’un monde au bord de l’effondrement.

L’ensemble de ces propositions de ces artistes traduit le projet de Voir en Peinture /Two qui propose un regard sur la création picturale de ces dix dernières Années. Dessin, couleur et lumière définissent les valeurs tactiles spécifiques à la peinture mais quel est son champ véritable ? Déclinaisons, passages, dialogues entre les œuvres – hors de tout classement formel – déterminent Voir en peinture / Two.