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Expositions & Œuvres connexes
Marie-Claire Sellier
24 avril 2016

Les peaux du ciel.

Il faut attendre de l’art qu’il soutienne notre regard en imposant une réalité auprès d’un réel entraperçu. Et, tout le travail de l’artiste est de nous produire le déplacement métaphorique d’une idée qui a pu un jour nous saisir. La pensée rejoint l’expérience et ainsi les formes deviennent à leur tour un point de départ pour relier le cheminement, les parcours singuliers de chacun. De ceci, il faut parler, tenter de comprendre pourquoi dans des œuvres faites des trajets de points et de lignes de Marie Lepetit, au plus près de la question du dessin aujourd’hui avec des moyens simples mais sophistiqués, on voit émerger des idées de représentation du monde.

On se trouve projeté dans l’univers alors que l’on regarde une peau du ciel, des traces ombrées captant un moment de lecture d’un écrivain ou encore l’instant où la lune dérobe le soleil. On perçoit dans le ciel des ralliements entre les myriades d’étoiles et ainsi nous pensons la complexité d’un monde où chacun de nous en est une infime conséquence.

Ainsi, se regarde l’œuvre de Marie Lepetit. Quels que soient les supports renouant avec des émotions intimes, les doutes, il s’agit là de cosmos, de voiles célestes, de cieux en révolutions mystérieuses, d’inscriptions palpitantes, de signes qui nous mènent vers une ouverture introspective. Pourtant ce n’est que du graphite sur du papier. C’est du dessin et le cosmos, de l’épiderme et l’abime. Les éléments utilisés sont les plus simples et seules les manipulations, les gestes que l’on perçoit mesurés, les reports méthodiques des principes constructifs élaborent les grandes formes. L’oxymore de ce travail constitue sa mise en œuvre : plus est délicat la trace du crayon, plus est retenu l’ombré gris et plus on se trouve confronté à l’ampleur du représenté. De près, les traces sont investies par l’œil et son « touché » : grains du papier, rugosité des cartons. On demeure attentif aux réseaux colorés ou percés et, en prenant une certaine distance on reconnait l’expérience des nuits d’été. L’artiste ne sait-il pas trouver par des moyens qui lui sont propres nous parler de l’universel ? Des points, des traces, des valeurs, tous les registres de la pratique du dessin sont là, développant des infinies subtilités des gris. Parce que cette histoire de ciel, c’est d’abord une histoire de dessin. Juste cela. On est en face de la nécessité de construction, laissant son regard divaguer et s’approprier le langage graphique. En construisant les lignes avec un protocole défini, Marie Lepetit questionne le plus attentivement possible toutes les possibilités des outils et supports. Les tracés organisent la surface, répartissent l’ombre et la lumière, notre regard se satisfait des subtiles variations, de la douceur ou de la griffure sur l’épiderme du papier.

l’ampleur. Cela se combine entre le regard et la pensée en abordant le changement d’échelle. Rebondir de points en points, du près au loin, de la page au sentiment d’Infini. « Il n’y a rien de plus profond que la peau » disait Paul Valéry dans l’idée fixe et devant ces dessins de peau du ciel, le superficiel se renverse sur une profondeur.

En exploitant le vocabulaire utilisé, telle une musicienne travaillant les variations tonales, elle pose l’intensité du regard, exigeant une attention concédée à ces propositions délicates. Avec le principe des reports, on reconstruit dans l’imaginaire les calculs savants d’une géométrie allusive, celle rêvée des astronomes comme celle des dessinateurs. Tous, scientifiques ou artistes tracent avec ampleur des trajectoires. Pourtant cette cartographie devient juste des planches de lumières et d’ombre. Du plus près au plus loin, abstraction et transcription d’un réel.

A chaque petit point posé suivant des lignes précises mais appelant un aléatoire, semble correspondre une constellation en train de naître, comme si le papier livrait un instant figé de la naissance d’un monde. Comme si les valeurs de gris se développant avec les jeux de lumière sacralisaient le moment du regard, comme si les rapports subtils et retenus donnaient déjà trop à voir. Etrangement, l’ascèse du geste plein de méticulosité précise la position de l’artiste, une position assurée de construire les dessins pour la possibilité d’être eux mêmes. Marie Lepetit laisse advenir des circonstances qui livrent alors le dépassement de l’organisation maitrisée prévue. La forme s’impose.

Cela correspond aussi au dessin de cet homme en train de lire, aperçu entre deux portes, où tous les signes indiquent mais ne disent pas. Au spectateur de saisir que la capture de cette scène intime parle aussi des phases préparant l’installation d’un nouveau langage. De James Joyce, on connait son œuvre difficile qui invente et rompt avec les conventions de la littérature et le voir ainsi penché sur les mots, on comprend que Marie Lepetit par cette référence, ( on pourrait dire révérence) indique le travail de l’invention des formes du langage dans la plasticité plus qu’elle ne s’impose une vérité narrative. Comme pour L’eclipse solaire totale, se situer à la suite de Chris Marker, c’est exiger de sa propre pratique la capacité de trouver un langage plastique prospectif, de poser son œuvre dans une quête de formes encore à venir. L’inscription du texte comme l’esquisse d’un titre, le texte n’est plus légende mais devient lui même image, comme l’introduction, l’incitation à la référence qui condense. Joyce lit calé dans son fauteuil et, nous, voyant l’écrivain lire on rentre dans l’écho de la lecture. Il lit un livre et nous on lit un dessin. Représenter un lecteur, c’est renvoyer le spectateur dans une position semblable. Savoir identifier Joyce, c’est nous dire que l’œuvre est au travail de la structuration et l’aventure des formes se met en place.